Pourriez-vous nous expliquer les techniques d’influence sociale du sociologue Robert Cialdini ?
Les techniques d’influence sociale peuvent être définies comme le moyen d’impacter une ou plusieurs personnes en vue d’obtenir leur adhésion à nos idées ou d’agir conformement à nos attentes. Il n’y a pas un seul classement ni le nombre fixe et prédéfini de ces techniques parce que chacune d’elles se décline en différentes variantes. Les travaux du sociologue américain Robert Cialdini l’ont mené à la distinction de six groupes principaux, ce que j’ai trouvé assez pratique et logique pour faciliter la compréhension et l’apprentissage de ces techniques. Elles sont toutes basées sur le fonctionnement du psychisme humain en général, indépendamment de l’origine géographique ou culturelle, et se déclinent comme suit : la réciprocité, la conséquence et engagement, la preuve par la masse, la rareté, l’autorité et la sympathie.
Outre l’argumentation et la négociation, dans quels cas ces techniques peuvent-elles être utiles ?
Comme leur nom l’indique, ces techniques d’influence sont applicables et appliquées dans tous les domaines de la vie. C’est un processus permanent, quoique souvent inconscient. D’ailleurs, dans la vie sociale elles sont utilisées d’une manière beaucoup plus fluide et fine que pendant certaines négociations lorsqu’elles s’affichent ouvertement. Obtenir un engagement durable de la part de quelqu’un ou convaincre un ami de nous prêter de l’argent – sont les exemples les plus fréquents.
En connaissant le fonctionnement de ces règles sur le psychisme nous pouvons aussi nous défendre efficacement contre les tentatives de manipulation qui est une forme d’influence, mais non éthique.
Est-il toujours évident d’appliquer ces règles dans un environnement stressant et face à des personnes difficiles ?
C’est précisément dans ces situations stressantes et face aux personnes difficiles que ces règles trouvent tout leur sens. Si l’environnement est agréable et s’il n’y a pas de divergences d’opinions ni de conflits, nous n’avons pas besoin de déployer les efforts particuliers pour obtenir ce que nous voulons.
Et quand j’évoque une situation délicate, je pense surtout à sa forte charge émotionnelle. Les exemples les plus fréquents nous sont fournis par la vie de tous le jours : rompre un lien d’amitié qui a duré de nombreuses années, suite à une indiscrétion majeure (trahison de confiance) ; convaincre son chef de donner une autre chance à un collègue qui a commis une faute grave ; résister à l’achat impulsif face à un vendeur aimable et une publicité alléchante. D’ailleurs, c’est le monde du commerce et de la publicité qui sont les plus expérimentés dans l’application des règles d’influence sociale sur le comportement du public.
Vos conseils.
Il existe trois limites à l’efficacité du fonctionnement des règles d’influence sociale. La première, c’est la bonne foi de leur utilisation, en évitant la manipulation qui peut être profitable à court terme, mais qui est fatale à la crédibilité à long terme. La deuxième limite, c’est la subtilité dans l’application de ces mécanismes, d’autant plus importante que toute argumentation trop grossière ou évidente produit un effet contraire de celui espéré. Cette subtilité doit tenir compte de la personnalité de votre interlocuteur, de ses attentes et du contexte global dans lequel nous espérons l’influencer. Et puis, la troisième limite c’est la normalité psychique et sociale de notre interlocuteur : face à un sociopathe qui réfléchit et agit en tant que tel, les règles sociales saines ne fonctionnent pas.
Et puis, le plus important : n’oublions pas que l’existence des méthodes d’influence n’est pas une science infuse. Toute personne lettrée peut se documenter à ce sujet, et même certains peuples simples les appliquent très bien d’une manière intuitive. Rester sincère, intègre et bienveillant est – à mon avis – le plus important dans la réussite durable de nos relations avec des gens, y compris dans les situations de conflit d’intérêts.
Malgorzata Saadani